Communication Afrique Destinations

TCHAD : Une transition bien plus complexe qu’on l’imagine

Le Président Mahamat Idriss Déby Itno du Tchad

Depuis la mort du Président Idriss Déby Itno, le Tchad est dirigé par un Conseil militaire de Transition (CMT) à la tête duquel se trouve le Général Mahamat Idriss Déby. Le fils de l’ancien Président tombé sur le champ d’honneur le 19 avril 2021, Général de Corps d’Armée devenu Général cinq étoiles, a repris le flambeau du père non sans susciter bien de controverses au départ.

Le Président Idriss Déby Itno sortait à peine d’une élection présidentielle controversée. Il l’avait gagnée haut les mains en l’absence d’une grande partie de l’opposition tchadienne et de ses principaux ténors. Mais il devait faire face aux rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) partis de Libye et visiblement soutenus par des mercenaires étrangers par ailleurs équipés de nouvelles armes notamment russes. Les affrontements contre les rebelles ont mal tourné en entraînant la mort brutal du chef de l’Etat, le Maréchal Idriss Déby Itno, qui n’était pas à sa première descente sur le terrain et en première ligne de front. La suite des événements ont conduit à un bouleversement de la scène sociopolitique tchadienne. Le Maréchal du Tchad est mort avec son bâton de Maréchal à la main, accomplissant ainsi son destin. Comme une volonté prémonitoire lorsqu’il déclarait à notre confrère de Radio France Internationale, Alain Foka :

«Vous avez vu un jour un chef d’Etat prendre une arme et aller se battre ? Vous croyez que je l’ai fait parce que je suis brave, je l’ai fait parce que je suis courageux ? Non ! Je l’ai fait parce que j’aime ce pays et je ne veux pas que le désordre s’installe dans ce pays. Donc j’ai préféré aller mourir sur le terrain et ne pas voir le désordre qui s’ensuivra ».

Les controverses sur la succession
« Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années », a dit Rodrigue dans Le Cid de Pierre Corneille. On pourrait dire du Général Mahamat Idriss Déby : « Aux armes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années ». Au plus fort de la crise malienne, c’est lui que son père avait envoyé dans les Adrar des Iforas, sans privilèges particuliers sur le champ de bataille. Commandant en second des Forces d’élites tchadiennes au Mali, les vaillantes Forces armées tchadiennes en intervention au Mali (FATIM). Christophe Boisbouvier disait de lui dans l’édition de Jeune Afrique du 14 février 2013:

« Ce n’est pas un fils à papa. Il est poli et respectueux », dit l’un de ses anciens tuteurs. « Sur le terrain, il fait l’effort de ne pas apparaître comme le vrai chef pour ne vexer personne », précise un reporter qui l’a croisé à Kidal il y a peu. Mahamat Idriss Déby Itno, 29 ans, est un homme discret. Au téléphone, il répond par des phrases courtes. « Vous êtes toujours à Aguelhok ? – Je suis en mouvement. » Puis, d’un ton amusé : « Mais vous êtes bien curieux ! »


L’avènement au pouvoir du Président Mahamat Idriss Déby Itno a été décidé unilatéralement par le Conseil militaire de Transition (CMT) composé de quinze Généraux de l’Armée. Le 20 avril 2021, Mahamat Idriss Déby Itno a succéda à son père, à la tête de l’Etat tchadien. Une succession que d’aucuns ont qualifié de monarchique ou dynastique, c’est selon. Mais la réalité du Tchad est beaucoup plus complexe que cela pour être cernée par ceux qui ne la connaissent pas. En déclarant le 23 avril 2021 aux obsèques d’Idriss Déby Itno à N’Djamena que « la France ne laissera jamais personne menacer ni aujourd’hui ni demain la stabilité et l’intégrité du Tchad », le Président français Emmanuel Macron s’est attiré beaucoup de critiques pour cette prise de position. En effet, on peut la critiquer dans la forme sans doute due à l’émotion inhérente à l’événement. Mais pour critiquable qu’ait paru la position d’Emmanuel Macron à ce sujet au regard de la gouvernance démocratique en Occident, les historiens et les analystes politiques sauront l’apprécier avec le recul. Et il pourrait, toutes proportions gardées, avoir bien raison un jour dans le fond en revanche devant l’Histoire. Car, derrière une guerre d’influence entre les grandes puissances que sont la France et la Russie, l’enjeu manifeste de la stabilité du Tchad et par conséquent de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne ne doit pas être occulté. Dans cette logique géopolitique, il n’y a pas de place pour les tergiversations. On peut épiloguer sur la situation sociopolitique au Tchad. Le Tchad n’est pas seulement un pays stratégique pour la France, il l’est tout aussi pour le reste des pays d’Afrique au-delà du Sahara. En raison de sa position géographique notamment. Dans l’affaire russe Wagner et le gouvernement malien, le chef de la diplomatie du Tchad, Chérif Mahamat Zene, est allé même plus loin en déclarant sans aucune forme de diplomatie à France 24 :

« Il y a des mercenaires russes présents en Libye, qui sont aussi présents en République centrafricaine. Nous avons des raisons de nous préoccuper de la présence de ces mercenaires parce que les assaillants qui ont attaqué le Tchad en avril et causé la mort de l'ancien président (Idriss Deby) ont été formés, encadrés par la société privée de sécurité Wagner ».

La Transition en question
Autant la succession du Général Mahamat Idriss Déby Itno au Maréchal Idriss Déby Itno n’est pas comme les autres, autant la Transition ne le sera certainement pas non plus. Mais, dans tous les cas, il appartient aux Tchadiennes et aux Tchadiens d’abord de décider de l’avenir de leur pays et du contenu qu’ils souhaitent donner. Les intérêts des uns et des autres ne pouvant primer sur ceux du peuple tchadien.

Plusieurs partis et leaders politiques ou de la Société civile ne partagent pas les positions. De tous, la position du parti Les Transformateurs de Succès Masra est celle qui paraît faire fi du poids des contingences socio-ethniques dans le jeu politique national. En coulisses, certains n’hésitent à critiquer la tentation populiste du leader des Transformateurs sous couvert de revendications démocratiques. Il n’est pas étonnant que plusieurs partis de l’opposition participent au gouvernement de Transition du Premier ministre Albert Pahimi Padacké. Il en est de même pour le Dialogue national inclusif (DNI) en cours. Pour les organisations de la société civile et autres partis politiques qui ont manifesté le 29 juillet 2021, leurs revendications se résumaient dans cette déclaration :

« Il faut que la Charte soit révisée pour que des garanties soient inscrites dedans. C’est la revendication de tout le monde ! C’est la revendication de l’Union africaine, c’est la revendication de l’Union européenne, c’est la revendication de tous les partenaires ! » 

En attendant les élections présidentielles
L’Union africaine (UA) et la Communauté internationale essaient, tant bien que mal, de veiller à ce que la Transition tchadienne soit la plus consensuelle et paisible possible. N’empêche, des points de frictions ne manquent pas entre les autorités de N’Djamena et des représentants de ces institutions dans le processus. N’Djamena a ainsi récusé le Sénégalais Ibrahima Fall et lui a préféré le Congolais Basile Ikouébé, au motif que l’UA ne l’avait pas consulté avant la nomination du premier. D’autant plus que c’est le Représentant de l’Union africaine qui est chargé de faciliter et d’accompagner ladite Transition. A l’intérieur du pays tout comme à l’extérieur, la question que tous les acteurs sociopolitiques et les observateurs de la scène politique tchadienne se posent est de savoir quelles sont les intentions du Président Mahamat Idriss Déby Itno. Ira ou n’ira-t-il pas à l’élection présidentielle qui est censée sanctionnée la fin de la Transition qu’il est en train de diriger ? Nul ne peut y répondre à sa place même si plus d’une personne souhaite qu’il ne soit pas candidat à sa succession. Il ne fait aucun doute que le Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir sous feu Idriss Déby Itno, présentera un candidat à la prochaine échéance présidentielle. Mais dans les milieux proches du Président Mahamat Idriss Déby Itno, l’on s’empresse toujours de préciser que le Président du CMT n’est pas le président du MPS.

En attendant l’ouverture du Dialogue national inclusif (DNI) prévue le 10 mai prochain, les vieux démons de la division du Tchad ne cessent de se multiplier. Y compris dans l’entourage du Président Mahamat Idriss Déby Itno. Il y a donc fort à craindre que, même après ces assises nationales, la Transition soit bien plus complexe qu’on l’imagine. Et ce n’est que pur euphémisme. A moins que, par extraordinaire, un sursaut national permette enfin d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire du Tchad.

Par Mahamat Abakar Mahamat
 

Ajouter un commentaire

Le code langue du commentaire.

HTML restreint

  • Vous pouvez aligner les images (data-align="center"), mais également les vidéos, citations, etc.
  • Vous pouvez légender les images (data-align="center"), mais également les vidéos, citations, etc.
Communication Afrique Destinations