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MONDE/HAÏTI : Ce que la crise nous dit du regard du monde sur l’Afrique Noire…

Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, membre de la délégation d’Haïti à la 3e session du Forum des peuples d’ascendance africaine à Genève en Suisse, Me Jacques LETANG.

Après l’assassinat rocambolesque du Président Jovenel Moïse en 2021 et la gestion chaotique de sa succession, le pays a été de nouveau plongé dans une crise sociopolitique sans précédent. Une situation créée par des gangs souvent acquis aux différents courants politiques mais qui ont fini par s’unir pour faire voler en éclat le gouvernement de l’ancien Premier ministre Ariel Henry. En plongeant le pays dans un chaos innommable, avec comme seul espoir une nouvelle Transition politique.

Il aura fallu que les gangs qui ont fait mains basses sur Haïti fédèrent pour exiger le départ immédiat de l’ancien Premier ministre Ariel Henry pour que la Communauté internationale se mobilise. Et qu’elle se préoccupe davantage de la situation dans le pays. Pendant ce temps, les Haïtiens qui n’appartiennent à aucun des gangs étaient à la merci des Seigneurs de gangs. Haïti était en effet bien loin des préoccupations des grandes puissances de ce monde. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie et toutes les autres puissances occidentales étaient plus préoccupées par la guerre en Ukraine et le conflit entre Israël et le Hamas palestinien et autres questions géopolitiques. Elles ont laissé courir la situation, pour ne pas dire qu’elles ont laissé pourrir la situation. L’ONU ayant montré toute son impuissante patente par ces temps, à charge à la Communauté des pays des Caraïbes de se pencher sur le cas de Haïti. Au nom du bon voisinage et de la solidarité.

Le du 11 mars 2024, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a organisé une rencontre de de toute urgence pendant que les gangs avait mis Port-au-Prince sous leur coupe réglée. Elle a permis de répondre à l’une des exigences des gangs et d’acter le départ de l’ancien Premier ministre Ariel Henry. Parti au Kenya pour chercher l’appui du pays à une force militaire internationale auprès du Président William Ruto, il avait l’accord de ce dernier. Mais il avait été interdit par les Seigneurs de gangs de rentrer à Port-au-Prince. Lesquels ont directement menacé l’aéroport. A la veille de la réunion de la CARICOM, le vice-président du Guyana avait laissé entendre que les pays présents « chercheraient à amener l'ordre et à redonner confiance au peuple haïtien (…) Les criminels ont pris le contrôle du pays. Il n'y a pas de gouvernement, c'est en train de devenir une société en faillite ». Le 11 mars, l’ancien Premier ministre Ariel Henry a annoncé qu'il allait démissionner pour laisser la place à un Conseil présidentiel de Transition.

Depuis, le Conseil présidentiel de Transition (CPT) en Haïti a la lourde charge de ramener l’ordre public, le calme et la stabilité dans le pays. Mais aussi et surtout de poser les jalons de la reconstruction d’un tissu économique et social mis en lambeaux par des dizaines d’années d’instabilité politique. Composé de neuf membres, cet organe dispose d’un mandat qui court jusqu’au 7 février 2026 au plus tard. La CARICOM sous l’égide duquel les discussions ont eu lieu pour sa formation, a salué à cette occasion cette avancée notable qui laisse « entrevoir la possibilité d'un nouveau départ pour Haïti ».

Et pourtant, cela fait bien trop longtemps que les choses se détérioraient progressivement et que de tergiversations en tergiversations, l’on renvoyait une intervention en vue d’une solution au lendemain. Ce qui a laissé libre cours aux gangs de se combattre, de piller, de tuer, pour finir par s’entendre contre les politiciens haïtiens qu’ils ont accusé de tous les maux. Tout comme si ces gangs dont les mains sont gantées de sang de populations civiles, prises au piège sans défense, tuées ou violées. Aucune frustration et aucune récrimination à l’endroit des acteurs politiques du pays ne saurait l’autoriser. Point n’est besoin de rappeler ici l’histoire sociopolitique tumultueuse de Haïti et les agissements de ses acteurs politiques et de ses forces de l’ordre.

Dans son intervention au Forum des peuples d’ascendance africaine qui s’est tenu le 17 avril 2024 au Palais des Nations à Genève en Suisse, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, membre de la délégation d’Haïti, Me Jacques LETANG a notamment déclaré : « Haïti traverse une nouvelle période de crise aigüe qui est sur le point d’emporter les vestiges de l’État de droit et de faire advenir le règne de la violence et de l’impunité.

Mais cette crise ne tombe pas du ciel. Elle est le produit d’une histoire complexe, où les interventions internationales teintées de bons sentiments n’ont jamais cessé d’être travaillées par des enjeux postcoloniaux marqués par un profond mépris pour ce peuple d’anciens esclaves qui a si fièrement conquis sa liberté. Comme si, malgré tout, cela contentait certains de pouvoir dire : voilà tout ce dont ils sont capables ».

Ce que cette énième crise sociopolitique en Haïti nous dit du regard du monde ne concerne pas seulement qu’Haïti. Il ne faut guère s’y méprendre. Le regard du monde sur ce pays et sa population va bien au-delà. Il interpelle toute l’Afrique Noire et toute la diaspora à travers le monde y compris. On a beau crier sur tous les toits et adopter tous les textes de lois les plus antiracistes qui soient, l’Afrique Noire en particulier et tous les Noirs du monde – quoi que certains en pensent -, doivent se résoudre à comprendre qu’il n’y a que deux choses à construire pour forcer le respect et la dignité : Unité et Solidarité. Si tant est qu’ils tiennent à effacer les stéréotypes que des siècles d’antécédents historiques et qui perdurent ont collé à la peau des Noirs du monde entier et de leurs descendants. Et pour cela, l’Unité de l’Afrique Noire est impérativement une question de Dignité mais aussi un bon gage de développement.

Me Jacques LETANG a, fort justement, déclaré : « Il est temps, à nouveau, d’affirmer que nous sommes capables de mieux. Que nous sommes une grande nation, avec des racines profondes, qui peut apporter beaucoup au monde, qui a déjà beaucoup apporté au monde.

Mais pour cela, nous devons collectivement nous poser les bonnes questions, sur les raisons qui nous ont conduit là où nous sommes.

Nous devons faire la lumière sur les cicatrices laissées par l’esclavage et la colonisation, sur la saignée causée par la rançon exigée par la France et la dette indigne rachetée par les Etats-Unis ».

L’Afrique Noire ne peut pas continuer de se voiler la face en faisant le jeu des grandes puissances sans aucune vision géopolitique. Elle ne peut pas continuer d’être la vache à lait de ceux qui ont besoin de ses ressources naturelles ou de sa démographie. Sans aucune contrepartie en échange qui la mette définitivement sur le chemin de son propre développement. L’Exception de l’Afrique Noire ne saurait être bien comprise – dans tous les sens du terme -, dans une organisation aux intérêts aussi hétérogènes que l’Union africaine (UA). Il appartient à ses dirigeants politiques de montrer qu’ils ne sont pas plus idiots ou corrompus que n’importe quels dirigeants du monde. Et qu’avant d’être la risée du monde, l’Afrique Noire fut le centre du monde à tout point de vue. Et bien avant, elle fut également à son commencement. C’est résolument aujourd’hui son développement qui pourrait faire changer de manière significative et définitive le regard que l’on continuera de porter sur les Noirs et les Afro-descendants où qu’ils soient dans le monde. Et ce n’est nullement par une quelconque politique d’aide économique ou mesure de pitié anti-raciste. Pas plus qu’en faisant preuve de malhonnêteté intellectuelle ou d’escroquerie politique pour vendre à l’Afrique Noire l’idée selon laquelle ce sont la Russie et la Chine qui viendront sauver l’Afrique Noire. Pourquoi la Chine qui veut tant de bien à l’Afrique Noire ne lui propose-t-elle le modus operandi des relations commerciales qui furent les siennes avec l’Occident ? Pourquoi la Russie qui est si soucieuse de la Souveraineté de l’Afrique Noire et de toute l’Afrique d’ailleurs a-t-elle violé au vu et au su de l’Union africaine (UA) la Souveraineté des pays africains en installant ses mercenaires du Groupe Wagner partout où l’Afrique a interdit à ses propres ressortissants d’exercer en tant que mercenaires ?

La seule issue ou planche de salut, c’est ce que le Professeur Dr Emmanuel KABONGO MALU de la République démocratique du Congo appelle les « Etats-Unis d’Afrique Noire » dans son ouvrage intitulé Mondialisation contre l’Afrique. L’Afrique Noire, dans son ensemble, doit intégrer le fait qu’elle ne doit pas uniquement servir de marché pas plus pour les Occidentaux que pour les Chinois et les Russes. Elle doit s’unir pour définir elle-même son avenir politique et économique et marcher résolument sur le chemin qu’elle aura choisi. Et les deux doivent aller de pair.

Combien de marches ou manifestations avez-vous enregistré à travers le monde en soutien aux populations de Haïti? Ou encore combien de marches ou manifestations avez-vous enregistré à travers le monde en soutien aux populations du Darfour? Et l'on pourra allonger la liste non seulement avec les guerres et les violences qui concernent l'Afrique Noire ou le Monde Noir...Le Monde Noir doit se réveiller. Et interpeller d'abord ses propres dirigeants et cela sans complaisance aucune, au lieu qu'ils soient comme des marionnettes aux mains des autres. Et cela passe forcément par la création d'une « Union ». L'Afrique Noire ne peut pas continuer sempiternellement à faire tout comme si ce qui se passe ailleurs dans le monde ne la concerne pas, et encore moins quand cela concerne ses propres populations. Et n’attendre seulement que des aides. Un proverbe bien connu et populaire en Afrique dit bien: « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ».

Même si l’histoire du passé marquée par l’Esclavage et ensuite la Colonisation fut au désavantage des pays d’Afrique Noire et les Afro-descendants – et ce n’est qu’euphémisme -, cela ne saurait sempiternellement constituer un argument pour justifier leurs propres échecs politiques ou économiques. Il appartient aux nouvelles générations de construire une autre vision d’un redressement de la situation à l’aune des enjeux du monde tel qu’il se dessine aujourd’hui. Et sans continuer à verser dans la naïveté béate qui consiste à croire aux discours lénifiants de certaines grandes puissances ou succomber à la tentation de nouvelles expériences qui pourraient s’avérer encore plus regrettables et préjudiciables bien des années après.

Par Serge Félix N’Piénikoua

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