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ENTRETIEN : Marième Kaba, Présidente-fondatrice d’A’ccord d’Ebène : « En mettant ensemble immigration/expatriation, on interpelle des politiques adoptées dans les pays du Nord »

Afrique Destinations : Vous êtes la Présidente-fondatrice de l’association ‘Accord d’Ébène dont le siège se trouve à Liège. Mais qui est Marième Kaba ?
Marième Kaba : Je suis Sénégalaise, naturalisée belge. Je vis en Belgique depuis 2001 et à Liège depuis 2003. Entre 2002 et 2016, j’ai travaillé comme agent de télécommunication à Bruxelles, puis comme conseillère commerciale et fitness manager, puis comme manager dans le 1er club de fitness ladies à Liège. J’ai été la 1ere subsaharienne à ce poste à Liège. Quatorze (14) ans dans l’industrie du fitness, une pure et très belle expérience. Depuis 2017, je travaille à la Province de Liège comme employée d’administration chargée de projets chez IPROM’S (promotion de la santé itinérante) où je parle du sport différemment.

Votre association A’ccord d’Ébène organise depuis quatre ans un événement sur les migrations subsahariennes en Belgique et en Europe. Quels sont les objectifs poursuivis par l’organisation lors de ces ateliers ?
Depuis sa création, l’association s’est donnée plusieurs possibilités à la réalisation de ses objectifs ; multiples et diversifiés. Ils tournent cependant autour de la sensibilisation.  Sensibiliser les personnes issues de l’immigration, qu’elles soient en situation régulière ou non, le but est de s’impliquer dans le quartier et la ville où elles vivent. C’est encore mieux si cette implication repose sur l’associationnisme. Aller vers les associations est une manière de s’impliquer, de participer à la nouvelle vie pour ces personnes. Mais sensibiliser, c’est aussi faire connaitre la plus-value de l’immigration. Travailler sur le côté humain, chaque personne immigrée a des compétences qu’elle peut, doit faire valoir. C’est une démarche de sensibilisation et d’éveil social, montrer ce qu’on sait, ce qu’on peut apporter au quartier, à la ville. Pour cela, l’association a mis sur pied un partenariat entre immigrés.es, personnes de ressource, société civile, la classe politique, les chercheurs en sciences sociales. En s’installant dans un pays, il est un devoir de respecter les valeurs culturelles, sociales, fondamentales de ce pays accueillant ; et ceci tout en gardant les siennes. Des valeurs qui se rencontrent, ce sont des responsabilités qui se fondent.

Comme d’autres, les immigrés originaires du continent noir s’organisent en communautés ou pays d’origine. Les premiers-es sont arrivés-es en Belgique à la fin des années 1960 ; originaires du Burundi, de l’actuel Congo RD et du Rwanda. Est-ce que 4 décennies après leur arrivée, ces immigrés-es participent à des associations transnationales à Liège ?
A ma connaissance, il n’y a pas d’associations transnationales à Liège ; sauf erreur de ma part. Mais A’ccord d’Ebène essaye d’intégrer la diversité de personnes originaires des pays africains, mais aussi la population locale dans sa démarche. Les mots illustrent bien cette intention d’intégrer chaque personne à part entière. A’ccord comme un « accord » entre les membres et d’Ébène, le mélange de couleurs : brun-noir. Le but était de créer un maximum de synergie entre différents groupes. Malheureusement, les personnes issues de l’immigration subsahariens-e restent parfois fermées.

Le thème de l’atelier de cette année appelle à des réflexions intéressantes sur les migrations subsahariennes : expatriation et liberté masquée. Qu’est-ce que vous entendez par ces deux mots ?
Le thème de cette année est une réflexion sur une question, délaissée par les décideurs, les chercheurs en sciences sociales, mais aussi les acteurs-es de la société civile : l’expatriation. On parle souvent de l’immigration dans les pays de résidence, mais il y a un processus avant. L’expatriation résulte d’un projet réunissant diverses actions. On voit seulement les gens qui arrivent, mais on ne pense pas quand elles partent de chez elles. L’immigration a 2 portes : sortie d’un lieu et entrée dans une autre. 

En mettant ensemble immigration/expatriation, on interpelle des politiques adoptées dans les pays du Nord. Par exemple, un parti comme Ecolo prône des voitures électriques pour réduire l’impact sur l’environnement dans les pays « développés » tel que la Belgique. Mais d’où viennent les composants pour fabriquer ces voitures électriques destinées à une poignée de personnes qu’on compte sur le bout des doigts ; elles sont chères et inaccessibles aux populations modestes. On trouve ces composants dans les pays du Sud, émetteurs d’immigrants économiques, d’exilés, de réfugiés… Donc l’immigration est un processus en cascade qui déstabilise les facteurs socioéconomiques des pays émetteurs d’immigrants. 

L’expatriation doit rappeler aux dirigeants Africains leur grande responsabilité. Je ne condamne pas l’Europe ou les pays du Nord sur leur politique d’immigration malsaine. Je condamne nos dirigeants corrompus qui se refusent de voir les impacts négatifs sur leur jeunesse. Face à cette situation, l’Union Africaine doit réagir. Son rôle est de protéger les citoyens des pays africains, de développer son économie, d’asseoir sa politique, sa gouvernance...
Le thème de cette année est aussi un pied de nez à la liberté. Mais immigrer ne rime pas à ce qu’on attend par liberté, la mobilité sans conditions, l’absence de surprise sur le lieu d’arrivée. L’expression liberté masquée nous a paru illustrative en pensant ce qu’endurent les jeunes migrants-es, diplômés une fois arrivée à « l’Eldorado ». Ils se rendent comptent de la différence de traitement, de réaction de la société d’accueil. Ils n’ont pas reçu le même enseignement que les jeunes des pays de résidence. On leur parle d’équivalence des diplômes ; ils sont déstabilisés. Il faut à l’essentiel ; être proactif. 
J’ai remarqué que les étudiants africains sis à Liège ont un problème de réactivité, d’esprit critique, de manque de curiosité. Ils sont confortables dans leur domaine de compétences certes mais réagissent peu dans les conférences, séminaires organisés par d’autres structures, institutions… Nos étudiants des pays d’origine sont très intelligents mais ils sont souvent formatés par nos traditions Africaines qui les freinent dans leurs élans. Ils doivent bousculer les codes, être vif, avoir l’esprit critique, s’exprimer clairement et fermement et surtout, ôter la peur sur leur chemin d’instruction et de formation.

La liberté masquée est une illusion de la liberté fondamentale car il y a des obstacles à franchir pour atteindre l’objectif de cette dite « liberté ». Cette liberté masquée résulte de plusieurs facteurs ; en particulier dans le cas de l’intervention d’une tierce personne : le passeur ou la personne qui se propose de vous trouver le « fameux visa Schengen ».  Mais une fois arrivé dans un des pays Schengen, l’immigré est ballotté d’un pays à un autre ; et souvent bloqué dans des camps de refugié, ou centre fermé. 

A’ccord d’Ébene est une association à but non lucratif. De quelles nationalités sont originaires ses membres ; quelle est la composition de ses organes ?
 A’ccord d’Ébène est une association à but non lucratif. Créée le 29 avril 2011 à Liège, son conseil d’administration 2017-2021 est composé d’un sénégalais, d’un Guinéen et d’une Togolaise. Ses membres actifs, ses sympathisants.es sont des gens de différentes nationalités ; tant Belge qu’Africain-es. Elle organise plusieurs activités sociales reparties sur plusieurs mois de l’année. En février elle organise « AfricArnaval » à Liege. ; ce sont des ateliers ludiques d’arts. Le but poursuivi est visibiliser la communauté. En juin, elle participe au « Festival Africain de Liège ». En juillet, elle organise « African Garden Party » ; c’est un atelier d’art culinaire. Au-delà des mets proposés aux visiteurs, on poursuit des activités éducatives et des projets de participation. En octobre, elle organise une « soirée sénégalaise ». En novembre, elle organise « l’Atelier de la Diaspora Subsaharienne de Belgique ». Exceptionnellement nous l’avons fait cette année 2021 le 11 décembre pour raison COVID. En décembre, elle organise un « GalAfrica ». Mais cette année 2021, elle sera annulée pour raison COVID.

En conclusion à travers ses multiples et diverses activités, l’objectif principal d’A’ccord d’Ébène asbl est de faire comprendre que les personnes issues des immigrations font partie de la vie sociopolitique Belge. Ce sont des Belges à part entière s’ils sont naturalisés, et faisant partis des citoyens éligibles. Certains vivent sur le territoire comme résidents et n’aspirent ni à être Belge, ni à bénéficier d’avantages ; juste vivre leur choix de vie. L’asbl s’implique dans le vivre ensemble, la cohésion sociale, le respect des valeurs fondamentales, l’entreprenariat, le travail, l’échange et le partage des horizons culturelles, sociales et politiques ; l’affirmation Humaine. 

Entretien réalisé à Bruxelles par Mohamed A. Bahdon
 

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