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CULTURE/ Arts & Spectacles : Fela, l’indétrônable Roi de l'Afrobeat !

Fela Anikulapo Kuti
Fela Anikulapo Kuti.

Bien des années après sa disparition, Fela, père-fondateur de l'Afrobeat reste un artiste-musicien hors pair et unique en son genre. Un phénomène né au Nigeria dans cette Afrique si riche et diverse dans ses arts, mais qui peinera à enfanter quelqu’un qui puisse sinon être comme du moins lui ressembler à bien des égards.

Dans Dis Fela Sef The legend(s) untold, Benson Idonije, qui fut le Manager du Roi de l’Afrobeat écrit : « Fela et moi nous sommes rencontrés quelque part en 1963. Peu de temps après son retour de ses études au Royaume-Uni, sa célèbre mère, Mme Funmilayo Ransome-Kuti, l'a amené à me rencontrer en studio alors que je présentais NBC Jazz Club un jeudi soir. Nous sommes devenus amis et avons formé un groupe de Jazz - The Fela Ransome-Kuti Quintet - que j'ai managé en 1963. Et quand nous sommes passés du Jazz au Highlife en 1965, j'ai aussi recruté des musiciens pour les Koola Lobitos ».

Longtemps après sa mort au petit matin du 2 août 1997, on n’a pas encore fini de parler de ce musicien de génie, aux multiples talents, mais tout aussi extravagant que subversif. Son vrai nom à l’état civil est Olufela Olusegun Oludotun Ransome-Kuti. Et l’on a coutume de dire Fela Anikulapo Kuti ou Fela Kuti. 

Il aura vécu 58 ans seulement dirait-on. Mais intensément pour écrire sa Légende. Une histoire personnelle que la postérité aura du mal à oublier, en dépit de sa floraison de frasques. Avant de se consacrer définitivement à la musique, Fela a d’abord étudié dans les meilleures écoles du Royaume-Uni. Et l’Anglais, il pouvait le parler avec son accent oxfordien ou avec celui du pidgin local qu’il affectionnait tant. C’était donc selon le client qu’il avait en face de lui. 

Couverture du livre FelaL’Afrobeat et la Satire Made in « République de Kalakuta »

Fela était convaincu que la musique ne devait pas servir uniquement à divertir. Car elle avait un pouvoir immense dans la société et en particulier sur les jeunes qu’il fallait l’utiliser pour accompagner les transformations nécessaires dans la société. « La musique est l’arme du futur », disait-il souvent. Une arme de dissuasion massive ou de changement massif, pour ainsi dire. A chacun sa conception de son engagement en tant qu’artiste. On ne fera jamais l’unanimité à ce sujet. Toujours est-il que Fela n’était pas artiste à se taire, ni à ne pas utiliser sa musique pour défendre les causes qui lui tenaient à cœur.

Comme tout musicien de génie, Fela a entrepris des recherches et des expériences musicales et est parvenu à un savant mélange de rythmes yoruba au free jazz en passant par la soul ou le funk pour obtenir finalement ce qu’il a baptisé l’Afrobeat.

Comme le déclare Benson Idonije, qui fut le Manager du Roi de l’Afrobeat, il s’est arc-bouté sur un héritage Ouest africain de musique Highlife autour de laquelle plusieurs rythmes Afro-américains ont été savamment orchestrés sur fond de cuivres et aux percussions. Progressivement, toutes ces expériences de fusion ont donné naissance à des constructions symphoniques de plus en plus complexes et originales.

L’Afrika Shrine, le Night-Club de Fela  à Lagos, est devenu un véritable laboratoire avant de devenir sa fameuse « République de Kalakuta ». Fela y donne des spectacles qu’on pourrait qualifier de « Spectacles politico-musicaux ». Il ne rate aucune occasion pour faire passer un message en bon communicant. Tant il est conscient du fait qu’entre deux morceaux bien rythmés et endiablés avec ses musiciens et ses danseuses, on peut avoir une bonne écoute. Alors, ses spectaculaires prestations musicales s’accompagnent de harangues politiques. Chaque spectacle de Fela est une expérience inoubliable. Dans ses chansons, il n’avait de cesse de se moquer par exemple du sigle de la compagnie d’électricité nigériane « NEPA » (National electric power authority) qu’il appelait : « Never expect power again ». Mais il pouvait partir aussi sur des envolées lyriques, comme par exemple avec cette chanson qui dit en Anglais : « Water no get ennemy ». Autrement dit : « l’eau n’a pas d’ennemi ». Comme pour dire que l’eau est insaisissable, car personne ne peut la saisir à pleines mains. Ou bien d’autres encore : « Why Black Man Dey Suffer » (Pourquoi l’homme noir souffre), Zombie, Opposite People, V.I.P. (Vagabonds in Power), Army Arrangement, Teacher Don't Teach Me Nonsense, etc.

Lors de la conférence de presse de présentation à Lagos en 2014 de "Dis Fela Sef The legend(s) untold", par Benson Idonije, qui fut le Manager du Roi de l’Afrobeat. (Photo : Marcus Boni Teiga)
Lors de la conférence de presse de présentation à Lagos en 2014 de "Dis Fela
Sef The legend(s) untold", par Benson Idonije, qui fut le Manager du Roi de
l’Afrobeat. (Photo : Marcus Boni Teiga)

Fela, le Fils de sa Mère

Elle a été à l’avant-garde de plusieurs combats au Nigeria. En créant le mouvement pour les droits des femmes dans les années 1950 qu’elle a dirigée de concert avec une autre de sa trempe, Elizabeth Adekogbe. C’est aussi la mère de Fela qui a créé l'Union des femmes d'Abeokuta dont elle est originaire dans l’Etat d’Ogoun. Et, ensuite, avec la complicité d’une autre militante de l'Est du pays nommée Margaret Ekpo, elles vont s’unir pour fonder l'Union des femmes nigérianes, et assumer respectivement les postes de présidente et secrétaire au sein de cette organisation. C’est donc dire que la mère de Fela l’a beaucoup inspiré.

Fela a toujours eu les convictions de sa mère, Féministe de la première heure au Nigeria. Outre la certitude que la vie est un combat de tous les jours, il s’est forgé un personnage que seul quelqu’un de son génie et de son audace pouvait avoir. Personnage haut en couleurs, volontiers excentrique et provocateur, Fela s’est toujours opposé à ceux qui ont la force et qui l’utilisent pour dominer et soumettre les autres. Ses prises de position sur la situation sociopolitique de son pays parlent pour lui.

Le néocolonialisme, la dictature des militaires, la corruption des élites, sont entre autres thèmes, ceux qui l’ont inspiré et guidé dans ses diatribes contre l’establishment. Il ne faut guère oublier que sa mère, Funmilayo Ransome-Kuti, ne fut pas uniquement Féministe mais qu’elle s’engagea aussi contre le colonialisme britannique.

Nourri aux différents combats de sa mère, Fela a fait sien les combats pour la cause des Noirs, notamment le combat de Malcolm X aux Etats-Unis. Mais ses études à Londres lui ont aussi ouvert l’esprit sur le panafricanisme des Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop, et bien d’autres encore. Et, dans le style particulier qui est le sien, Fela Anikulapo Kuti, va se faire le porte-étendard de tous ses combats. Autant de combats qui vont s’accompagner de leurs lots de mésaventures et de déboires comme en témoignent ses multiples arrestations et incarcérations pour diverses raisons, mais principalement de subversion. Fela aura été le digne fils de sa mère pour ainsi dire.

La Démocratie ou le Trouble à l’ordre public

La Démocratie était l’un des mots fétiches de Fela. Il en connaissait la valeur pour avoir vécu à l’étranger, dans des pays où cet exercice est certes contraignant, mais absolument indispensable pour qu’une société soit plus juste. Comme Fela était fondamentalement contre l’injustice, il en avait fait son cheval de bataille. Ce que Fela appelait, non sans humour, la « democrazy » ou « fausse démocratie » derrière laquelle se cachent nombre de chefs d’Etat africains, cette espèce de folie contre le partage des Pouvoir, était l’exact contraire de ce qu’il appelait de tous ses vœux. Son opposition farouche au pouvoir dictatorial et sanguinaire du Général Sani Abacha en dit long.

Au-delà de son pays d’origine, l’artiste-musicien engagé a toujours porté un regard très critique à l’égard de la sur la démocratie telle qu’elle est exercée en Afrique. Qu’il s’agisse de la gouvernance des pays par les militaires ou par les civils, il n’a jamais cessé de monter du doigt cette propension qu’ont les élites africaines à asservir leurs populations et à s’enrichir de manière illicite à leur détriment. Il faut y voir là l’une des raisons pour lesquelles il s’était arrogé en fauteur de trouble tant que les gouvernants se comporteront de la sorte.

Fela Anikulapo Kuti

La « République de Kalakuta »

Fela avait sa République à lui tout seul : la « République de Kalakuta ». Ne se faisait-il pas appeler aussi « Black President », une façon ou une autre de dire qu’il est un « Président Alternatif ». Et que dans sa « République de Kalakuta », il pouvait se permettre ce qu’il ne pouvait dans la République des autres. Ce qui caractérisait le plus Fela, c’est la Liberté. Et la Liberté dans tous les sens du terme. Dans un pays où surtout c’est la Liberté de penser qui posait problème avec la Dictature des Pouvoirs militaires au Nigeria.

Fela se produisait là où il avait envie de se produire à la Kalakuta Republic. C’était comme une Principauté autonome au sein de la République Fédérale du Nigeria. Là où le « Black President » pouvait faire sa loi. Sans se soucier de qui était dans l’assistance. Lagos, Le philosophe et écrivain français, Bernard-Henri Levy, en a fait l’expérience. Lui qui a subi l’outrecuidance de Fela qui ne s’est nullement gêné à le faire attendre plusieurs heures durant. 

Le libertaire se livrait parfois à des rituels dont lui seul détenait le secret. Certains de ses convives évoquent même la générosité du Grand Fela. Et celle-ci pouvait aller à ressembler à ces antiques pratiques dans certaines anciennes tribus africaines qui consistaient à proposer des femmes pour la nuit. Il pouvait recevoir des invités, en compagnie de ses épouses, tout en fumant son herbe et en se faisant caresser son torse qu’il aimait à exposer nu, sans sourciller.

Sa maison à Lagos était devenue la « République de Kalakuta ». Là il vivait avec sa « trentaine d’épouses ». 

« L’Africain le plus important du XXe siècle »

Le « Roi de l’Afrobeat » ou le « Père de l’Afrobeat » ou le « Black President », Fela Anikulapo Kuti, restera une icône exceptionnelle dans le domaine de la musique en Afrique et dans le monde. En dépit de son comportement social extravagant et de ses frasques. Ce n’est pas le fait du hasard ou par complaisance que le New York Times l’a élu « Africain le plus important du XXe siècle » dans le domaine culturel. Aux Etats-Unis, plus précisément à New York, Fela!, une comédie musicale lui a même été déjà consacrée. Avec les multiques casquettes qu’il n’hésitait pas à porter, Fela réussi une chose : faire de sa voix, la voix des sans voix. Au-delà même de ses talents exceptionnels d’artiste-musicien. Si sa vie fut plutôt houleuse, ses combats, quant à eux, restent encore les combats de tous les Africains du continent qui rêvent de voir des démocraties véritables s’installer et essaimer çà et là pour chasser de partout la « democrazy » ou « fausse démocratie » qu’il a combattu de toutes ses forces et à ses risques et péril.

Fela était un homme libre, qui a vécu libre, comme il l’entendait en se moquant des péripéties de la vie, des conventions et des princes qui gouvernaient en Afrique tout comme ailleurs dans le monde. Et c’est peu dire qu’il avait choisi d’emmerder le monde, en particulier ses dirigeants. Fela a toujours eu la dent dure contre l’ancien Président Olusegun Obasanjo du Nigeria, originaire d’Abeokouta comme ses parents, et qu’il a accusé jusqu’à sa mort d’avoir entraîné la mort de sa mère, en la faisant défenestrer. Or, sa mère était une grande poétesse yorouba, sa grande inspiratrice. Tout comme la culture yorouba à laquelle il accordait une valeur inestimable.

Par Serge Félix N’Piénikoua

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