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HISTOIRE/ENTRETIEN – Marcus Boni Teiga : « …l’absolue nécessité est que l’Histoire de l’Afrique Noire soit restituée sans être embellie… »

Marcus Boni Teiga

Journaliste et écrivain béninois, auteur de nombreux essais historiques sur l’Afrique Noire Antique, en particulier sur l’Egypte Antique et la Nubie Antique, Marcus Boni Teiga est l’un des Antiquisants et meilleurs spécialistes des études nubiennes. Lauréat du Prix international Imhotep en 2014 au Salon du Livre Panafricain de Bruxelles pour l’ensemble de son œuvre sur la Nubie antique, il ne cesse de documenter le passé le plus reculé de l’Afrique Noire. La journaliste Wonder Hagan l’a interviewé sur ses recherches, ses découvertes ainsi que le retour en Afrique des biens culturels spoliés et la lancinante question des réparations inhérentes à l’Histoire de l’Afrique Noire en particulier.

Quelle part de l’histoire africaine reste coincée en Europe ?
Je pense qu’il reste encore une grande partie de l’histoire africaine qui reste coincée en Europe. A commencer par les Archives des deux périodes clés de l'Esclavage et de la Colonisation. Concernant la période postcoloniale, les Africains eux-mêmes devraient mieux la connaître.
Cela dit, il ne faut pas toujours blâmer les anciennes puissances coloniales. Je trouve absolument absurde que nos Etats, dont la plupart sont indépendants depuis au moins cinquante ans, ne revendiquent pas encore aujourd'hui certaines de leurs Archives et parmi elles les clés pour apprendre, comprendre et enseigner l'Histoire, comme elle devrait être transmise aux générations futures.

L’histoire africaine est-elle bien préservée ? Regard sur l'évolution du monde et les adaptations culturelles des jeunes Africains ?
Je vous surprendrai ou vous décevrai peut-être si je vous dis que l'Afrique, et quand je dis Afrique je parle spécifiquement de l'Afrique Noire, n'a vraiment pas encore commencé à écrire son histoire ancienne. Il y a eu de grands pionniers dont l’universitaire sénégalais Cheick Anta Diop mais aussi de nombreux Noirs de la Diaspora à travers le monde. Il y a pourtant tellement à faire dans ce domaine qu’à mon avis l’Afrique Noire n’a pas encore commencé à écrire son histoire ancienne.
Le fait est qu’il n’y a jamais eu de volonté politique dans ce domaine. Combien de nos chefs d’État en Afrique considèrent que l’Histoire est importante pour leur pays et pour l’Afrique Noire ? Il n'y en a pas beaucoup. Or, toute société humaine a besoin de son Histoire pour se projeter dans le futur. L’Afrique Noire en a d’autant plus besoin que son histoire ancienne a été falsifiée ou simplement mal interprétée. Quelles que soient les adaptations culturelles des jeunes Africains ou Afro-descendants d’aujourd’hui, l’absolue nécessité est que l’Histoire de l’Afrique Noire soit restituée sans être embellie et que l’Afrique Noire se réapproprie son Histoire ancienne pour la transmettre aux générations futures, comme cela se doit.
Par exemple, il y a un débat aujourd’hui, c’est l’Egypte ancienne. Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet sinon nous y passerons plusieurs jours... Car je suis très à l'aise pour parler aussi bien de l'Egypte ancienne que de l'Inde ancienne. J'ai consacré plusieurs livres à fournir des preuves indélébiles que les anciens Égyptiens étaient des Noirs d'Afrique. Mieux encore, mon peuple, les Natemba du Nord-Ouest Bénin parlent encore la langue de l'Egypte Prédynastique héritée de leurs Ancêtres. Et ils ont les mêmes ancêtres que les Nanumba, Dagomba et Mamprusi du Nord du Ghana. Les ancêtres des Natemba actuels étaient des Prêtres Mamprusi. Vous êtes du Ghana et vous pouvez aller vérifier ce que je vous dis auprès des Rois du Nord du Ghana...

Que pensez-vous du récent retour de nombreux objets africains par d’anciens colonialistes ?
Il n’y a aucune raison ni justification pour que les anciens pays colonisateurs continuent de conserver des biens et autres objets qui ne leur appartiennent pas, et ce qui est pire, c’est que la plupart d’entre eux ont été volés. C'est un retour normal. Et ils devraient même être accompagnés d’une compensation. Si l’on avait pu penser et dire que l’homme noir est un sous-homme, alors pourquoi voler les créations du sous-homme ? C'était simplement une arnaque à tous les niveaux. Et je pense que l'Afrique Noire devrait tirer les leçons de toute cette période de l'histoire où l'homme noir a été non seulement spolié mais déshumanisé.

Au-delà de la restitution de ces objets historiques pour une occupation à court terme, est-il juste de discuter de réparation comme le propage le président ghanéen Akufo-Addo ?
Le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, a absolument raison. Nous devons parler de réparations avec l’Occident pour beaucoup de choses. Mais pas seulement avec les anciens pays colonisateurs d’Europe. Nous devons faire la même chose avec les pays arabes, car les Arabes sont les premiers à asservir les Noirs. Il n'y a jamais eu de réparation. Pire encore, il n’y a même jamais eu d’excuses.
Je dois dire qu'avant le Président Nana Akufo-Addo, je me souviens que bien d'autres comme l'ancien Président du Nigeria, Olusegun Obasanjo et son ami et frère l'ancien Président du Bénin, Nicéphore Soglo, en avaient parlé. Aussi. Mais je vais vous dire la vérité, en tout cas c'est mon opinion, et je ne cesse de le dire : tant que les Pays d'Afrique Noire n'auront pas d'Union, de Ligue ou de Communauté - peu importe comment ils la font ou l'appellent-ils ne réussiront jamais dans ce combat. Je profite de cette occasion pour appeler une fois de plus nos chefs d’État et de gouvernement à une Union des pays d’Afrique Noire au-delà de leur adhésion à l’Union africaine. Le salut de l’Afrique Noire et de ses luttes pour ses peuples est à ce prix.
Et après, on pourra parler de ce qui est réparable ou non, ou de la manière de réparer les torts qu'a subis l'Afrique Noire. Et surtout comment l'Afrique Noire doit faire pour que cela ne lui arrive plus jamais...

Quelle est la chose la plus intéressante que vous ayez apprise sur l’Afrique et que, selon vous, le reste du monde devrait connaître ?
Il y a évidemment beaucoup de choses à partager quand on est passionné par l'Antiquité de l'Afrique Noire. Mais ma découverte la plus intéressante, du moins pour ma part, est de savoir que les Nanumba, Dagomba et Mamprusi du Nord du Ghana et les Natemba du Nord de la République du Bénin en Afrique de l'Ouest ont les mêmes ancêtres qu'ils partagent avec les Luo et bien d'autres peuples apparentés en Afrique de l'Est. Et tous ces peuples dont descendent les anciens Égyptiens partageaient la même langue bien avant la fondation de la Civilisation égyptienne. Alors que certains ont migré du Soudan du Sud vers l’Afrique de l’Ouest, d’autres l’ont fait vers l’Inde. C’est pour cette raison que la langue Natemba partage toujours le même substrat linguistique avec les anciennes langues égyptiennes et indiennes. En un mot, le Yoga est né dans la vallée du Nil avant d’être transporté en Inde par des migrants partis de la Vallée du Nil il y a au moins 15.000 ans avant Jésus-Christ.

Quelle solution recommanderiez-vous aux pays et aux gouvernements africains pour promouvoir leur Histoire, en particulier dans un monde en évolution d’inventions technologiques et d’autres développements ?
Je dirais d'abord que chaque pays doit rassembler ses chercheurs nationaux, et si nécessaire ajouter des compétences extérieures, pour écrire son Histoire. Il ne s’agit pas d’embellir l’Histoire, car ce sont des faits toujours têtus par leur évidence, il s’agit de la restaurer en la débarrassant de toute trace de partialité ou de falsification voire de contresens. En deuxième lieu, il faut remplacer l’Histoire, qui est enseignée depuis longtemps et qui, comme chacun le sait, contient de nombreuses erreurs ou contrevérités volontaires ou involontaires. En troisième position, il y a déjà une très belle initiative du MOIS DE L'HISTOIRE DES NOIRS qui nous vient des noirs des Etats-Unis. Il faut que cette initiative soit officialisée dans tous les pays d'Afrique Noire au moins. C'est la moindre des choses. Enfin, nos gouvernements africains doivent investir dans la recherche et l’enseignement de l’Histoire. Beaucoup pensent que ce n'est pas la chose la plus importante même si l’Histoire est essentielle comme l'air que nous respirons. Le chancelier allemand Otto von Bismarck avait en effet raison lorsqu'il disait : « Celui qui ne sait pas d'où il vient ne sait pas où il va parce qu'il ne sait pas où il est. » Mais il a traduit un adage bien plus ancien dans les cultures africaines. D’ailleurs, beaucoup de choses ont été attribuées dans le passé à la Grèce Antique et à ses hommes célèbres alors qu’elles provenaient purement et simplement de l’Egypte Ancienne. Tout cela doit être corrigé. Combien de personnes, et notamment de Noirs, savent que ZIRYAB, un ESCLAVE NOIR affranchi était un génie multidisciplinaire de l’Europe du Moyen Âge et que son héritage aux civilisations arabo-musulmane et occidentale est incommensurable ?

Interview réalisée par Wonder Hagan

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