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TRIBUNE : Pour sauver le Burkina Faso de l’autodestruction, il faut d’abord s’intéresser aux faits 

Gilles Yabi, le fondateur et directeur exécutif de WATHI
Gilles Yabi, le fondateur et directeur exécutif de WATHI.

« Autant le dire clairement : il n’y a certes pas de solution durable militaire à l’insécurité multiforme dans ces deux pays du Sahel, mais la dislocation des États et du tissu social se poursuivra tant que les forces de défense et de sécurité de ces pays n’auront pas regagné en crédibilité par leur efficacité opérationnelle et par leur capacité à neutraliser les véritables ennemis. Et non pas, par leur aptitude à martyriser les populations civiles soupçonnées, de par leur seule appartenance ethnique, d’être des alliées des terroristes. » 

J’avais écrit ces lignes en juin 2019 dans une tribune publiée par le magazine Jeune Afrique avec ce titre : « Trois réponses immédiates aux désastres récurrents au Mali et au Burkina Faso ». Il y a un sentiment de lassitude à devoir répéter les mêmes messages, à alerter sur le basculement progressif de régions de plus en plus vastes de nos pays dans une violence massive et abjecte à une échelle inconnue jusque-là, d’abord par le fait des groupes armés recourant au terrorisme, par des milices diverses et, malheureusement aussi par des forces de défense et de sécurité engagées dans la lutte contre les groupes armés. 

Un sentiment de lassitude à observer chaque année après l’autre, le niveau de violence franchir un nouveau cap dans des pays d’Afrique de l’Ouest, et susciter peu d’indignation, de révulsion et d’exigence de transparence et de justice de la part des populations des capitales encore éloignées des zones de grande insécurité, de désolation, de chaos, de crimes encore inimaginables il y a quelques années dans un pays comme le Burkina Faso. 

Alors je vais me contenter de reprendre ci-après le texte intégral de la « Déclaration sur le massacre de Karma et villages voisins dans le Nord du Burkina Faso » que l’on doit au Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés, CISC, signée par son secrétaire général, Dr Daouda Diallo. 

Bien sûr, les esprits convaincus que toutes les organisations et toutes les voix qui défendent les droits humains – en fait simplement le droit à la vie de leurs concitoyens – sont manipulées par des ennemis de la nation burkinabé et n’inventent que des histoires, ne prendront pas le temps de lire cette déclaration. Les faits ne les intéressent pas. Mais même s’ils peuvent et savent occuper l’espace public et faire plus de bruit que toutes les autres voix, par la simple auto-proclamation de leur patriotisme exclusif, il faut espérer qu’ils soient encore minoritaires. 

Pour tous les autres Burkinabè et tous ceux qui dans la région, sur le continent et au-delà, craignent une escalade de la violence et une dislocation continue du tissu social du pays de Thomas Sankara, je recommande la lecture attentive de cette déclaration. Chacun pourra se faire sa propre idée et faire son évaluation de la plausibilité des hypothèses alternatives que l’on peut imaginer quant à la responsabilité des événements tragiques de Karma. 

Texte de la Déclaration sur le massacre de karma et villages voisins dans le nord du Burkina, 27 avril 2023

C’est avec tristesse et indignation que le Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC) a été saisi des cas d'exécutions sommaires de civils, le jeudi 20 avril 2023, dans les villages de Karma, Dinguiri, Ramdolah, Kerga, Ménè…dans la commune de Barga, région du Nord. Ces massacres sont attribués à des Hommes armés assimilés à des éléments des Forces de Défense et de Sécurité burkinabè (FDS).

Le bilan provisoire, évalué à plus d’une centaine de victimes civiles, continue de s’alourdir au fil des recherches, selon les témoignages recueillis sur le terrain. Pour l’instant, nos équipes ont documenté et enregistré 136 corps sans vie à Karma dont 50 femmes et 21 enfants parmi lesquels on a pu constater des bébés de moins de 30 jours tués sur le dos de leurs mères. Des personnes ressources comme l’imam, le muezzin et le conseiller villageois de développement (CVD) qui étaient tous en carême ont été tuées.

Dans les autres villages, au moins 6 personnes ont été tuées à Dinguiri, 2 personnes à Ménè ainsi que 3 autres sur la route Ouahigouya-Barga. Une dizaine de civils blessés ont été transferés au Centre Hospitalier Universitaire de Ouahigouya.

Selon les témoignages de cinq (5) sources directes, c’est le jeudi 20 avril 2023, vers 7h30 mn, que les villages ont commencé à recevoir la visite des hommes armés, arborant des tenues militaires burkinabè qui sont venus en grand nombre sur des motos, des pickups et des blindés.

Ils ont regroupé les civils par dizaines et par quartiers, en prenant soin d’affecter des hommes armés à chaque regroupement, avec pour mot d’ordre : ‘’Tuez tout le monde’’. Les assaillants s’exprimaient en plusieurs langues, notamment en français, en mooré, en dioula et en lobiri. Les gens arrivent à reconnaître facilement les langues grâce à leurs déplacements à l’intérieur du pays et aux activités d’orpaillage. Parmi eux, un s’est illustré par son caractère cruel, car il menaçait les hommes chargés des exécutions à accélérer les tueries. Ces derniers s’exécutèrent, en tuant toute personne rencontrée sur leur chemin : femmes, personnes du troisième âge et enfants. Il convient de souligner que dix-neuf (19) personnes, placées sous la garde d’un sous-groupe, ont été épargnés, car ces hommes armés ont désisté par la suite.

Subséquemment à ce carnage, les habitants des villages (20) de la commune de Barga et des localités voisines ont abandonné leurs terres pour se réfugier à Ouahigouya. Ces massacres surviennent à la suite d'une attaque terroriste, le 15 avril 2023, ayant occasionné la mort de 6 soldats et d’au moins 34 auxiliaires de l’armée, dans un village situé à mi-chemin entre Ouahigouya et Barga. Des témoignages de survivants indiquent que les assaillants accusaient les habitants du village d'abriter des membres de groupes terroristes. 

Le CISC note avec amertume que ce massacre n’est pas isolé. Il condamne avec force et véhémence ce dernier massacre qui fait suite à d’autres cas déjà perpétrés ces derniers mois. Il s’agit entre autres : 

  • 8 mars 2023 à Rollo (Centre Nord) : 21 personnes tuées au cours d’une opération conduite par des Hommes armés assimilés à des FDS et des VDP ; 
  • 2 février 2023 à Sakoani, Piéga, Kankangou… (Est) : 30 personnes assassinées par un convoi militaire qui escorte la mine de Boungou ; 
  • 8 août 2022 à Tougouri (Centre-Nord) : au moins 50 personnes assassinées lors d’une opération militaire ; 
  • 30 et 31 décembre 2022 à Nouna (Boucle de Mouhoun) : plus de 28 personnes tuées par des dozos enrôlés VDP ; 

Depuis janvier 2019, l’État-major général des armées et tous les gouvernements successifs ont toujours promis des enquêtes judiciaires pour situer les responsabilités. Mais force est de constater que les parquets civils et militaires n’ont jamais fait le point des enquêtes judiciaires. Il apparait que l’impunité ouvre la voie à toutes les dérives possibles, pouvant aller de règlements de comptes à des massacres à grande échelle. Avec ce comportement, les forces de défense et de sécurité inspirent la peur et la méfiance aux populations, faisant le lit aux groupes terroristes qui se présentent dans certaines localités comme leurs défenseurs et leurs protecteurs. 

Il est grand temps que les plus hautes autorités revoient en urgence la politique de lutte contre le terrorisme qui conduit à une banalisation de la vie humaine. Il appartient surtout au Président de la Transition, Chef suprême des forces armées, de se démarquer, de montrer sa posture d’Homme d’Etat, soucieux du droit à la vie, qui protège tous ses concitoyens. 

Partant de là, le CISC : 

  • Présente ces condoléances aux familles endeuillées et souhaite prompt rétablissement aux blessés. 
  • Salue les autorités pour leur implication pour l’enterrement des victimes en ce jour 27 avril 2023. 
  • Encourage les éléments des forces de défense et de sécurité (FDS) qui se battent nuit et jour pour garantir la sécurité aux citoyens tout en respectant les codes de la république. 

Aussi, il exige :

Une enquête judiciaire complète et impartiale sur ces crimes horribles de civils, afin de traduire tous les responsables et les commanditaires devant la justice nationale et internationale ; 

Le respect des accords internationaux en matière des droits humains, ratifiés par le Burkina Faso 

Enfin, il invite : 

  • Tous les Burkinabè à s’insurger contre ces crimes qui nuisent à l’intérêt de notre Nation et à soutenir les populations de Karma et des villages voisins. 
  • Tous les amis et partenaires du Burkina à mettre tout en œuvre pour que ces crimes de masse ne se reproduisent plus.

Pour le Bureau Exécutif National ;
Dr Daouda Diallo,
Lauréat du Prix Martin Ennals (Prix Nobel des DDH)
Chevalier de l’Ordre de l’Etalon

Par Gilles Yabi
Gilles Yabi est le fondateur et directeur exécutif de WATHI. Il oriente et supervise les activités du think tank dont l’équipe permanente est basée à Dakar (Sénégal). WATHI est une plateforme ouverte de production et de dissémination de connaissances et de propositions sur toutes les questions cruciales pour le présent et le futur de l’Afrique de l’Ouest et des autres régions du continent.

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